Dans le cadre de l’enseignement d’Humanités (HLP), les élèves de THLP ont pu lire L’Elimination de Rithy Panh, coécrit avec Christophe Bataille, afin de réfléchir aux différentes formes de la violence au cours de l’histoire récente. Les crimes de masse commis par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 ont au départ pris pour cible une élite intellectuelle et urbaine, avant que la machine de mort ne s’emballe, tuant près d’un quart de la population cambodgienne. Témoin et rescapé de ces massacres qui ont décimé une partie de sa famille, Rithy Panh a construit une oeuvre cinématographique majeure autour de cette histoire à la fois singulière et universelle. Le geste artistique et intellectuel de son chef d’oeuvre L’Image Manquante consiste notamment à créer à travers la sculpture de statuettes éphémères des représentations visuelles manquantes, qui permettent à la fois d’imaginer l’inimaginable, de donner une sépulture symbolique aux nombreux défunts qui n’ont pu en recevoir une, et également de se délester un tant soit peu du traumatisme qui peuple jours, nuits et cauchemars des rescapés, réfugiés et exilés cambodgiens. La transmission intergénérationnelle est au coeur de son art et de sa vie : nos élèves sont parfois les enfants de ces exilés qui n’ont pas pu parler ni témoigner ni transmettre l’histoire et la mémoire car ils devaient vivre, contruire et aller de l’avant : il permet aux familles à la fois de se souvenir et de comprendre l’impossibilité du témoignage des premières générations exilées. Vous pouvez voir ici la rencontre précédente avec Rithy Panh qui a permis l’organisation de ce temps fort de l’année, particulièrement intense.
Mardi 25 mars, c’est son dernier film, Rendez-vous avec Pol Pot, sorti en 2024, que les élèves ont pu découvrir lors d’une séance privée au cinéma Le Vincennes. Il y utilise à nouveau la technique très originale des statuettes en terre pour évoquer de manière particulièrement pudique et poétique, le plus effroyable. Mais ce film intègre également au sein du récit de fiction des images d’archives et pose la question essentielle : comment voir la violence, par-delà la propagande ?
Ce récit de fiction est basé sur le récit d’Elisabeth Becker, une des rares journalistes à avoir pu interviewer Pol Pot durant sa dictature : il retrace le parcours de trois observateurs qui appréhendent ce qui leur est donné à voir différemment, selon leur histoire personnelle, leurs convictions, leur formation et leur culture. La reporter, le photo-journaliste et le militant communiste qui a connu les futurs dirigeants khmers rouges pendant ses études à la Sorbonne sont invités à visiter, de manière strictement encadrée, des villages et des coopératives paysannes Potemkine visant à masquer le caractère violent du régime.
La veille, les élèves ont pu visionner au lycée un film documentaire de Claude Lanzmann, Un vivant qui passe, où Maurice Rossel, délégué de la Croix Rouge Internationale est interviewé par Lanzmann plusieurs années après sa visite du ghetto « modèle » de Theresienstadt : face aux mises en scènes nazies, Rossel a-t-il été berné ? Pouvait-il voir ? Voulait-il voir ? Et si le rapport était à refaire ? La réponse de Rossel est vertigineuse : il assure qu’il rédigerait un rapport tout aussi « rose ». Voir et être sur place ne suffisent donc pas pour saisir la violence extrême. Sommes-nous alors nous aussi des témoins aveugles ?
Laura Koeppel qui dirige le cinéma le Vincennes a été assistante à la réalisation de l’incontournable Le Dernier des Injustes auprès de Claude Lanzmann : elle a co-animé la rencontre avec Rithy Panh où la conversation fut particulièrement riche. Merci à elle pour son accueil chaleureux et son expertise et merci à Rithy Panh pour sa générosité, son humanité, son humilité et son humour. La sonnerie de son smartphone laisse claironner le très disco « Stayin’ alive » qu’il souligne malicieusement en rappelant qu’il est bien un survivant…parfois joyeux. Il a exhorté nos élèves à lire Charlotte Delbo qui donne son nom au personnage fictif Lise Delbo, représentant la journaliste Elisabeth Becker, et à être certes philosophes, mais aussi rimbaldiens et rimbaldiennes : c’est bien là l’ambition de l’enseignement des Humanités !